Il y a quelques semaines, les premiers ministres des provinces et territoires se sont réunis en Saskatchewan à l’invitation du premier ministre Mark Carney pour discuter des manières de faire face à la guerre commerciale de Donald Trump. Un précepte semblait faire l’unanimité : faire du Canada une superpuissance énergétique en créant un corridor énergétique national et en favorisant l’exportation des énergies fossiles vers des marchés diversifiés. En somme, il s’agit de construire des pipelines et des gazoducs vers les côtes Ouest et Est afin de vendre davantage de pétrole et de gaz naturel liquéfié sur les marchés mondiaux. Les changements climatiques n’ont guère été mentionnés lors des discussions. Pourtant, non loin du lieu de rencontre, de gigantesques feux attisés par les changements climatiques dévastaient l’Ouest canadien et recouvraient – encore une fois – toute l’Amérique du Nord d’une épaisse fumée.
Après la rencontre, Mark Carney affirmait, lors d’une conférence de presse avec la première ministre de l’Alberta Danielle Smith, que la construction de pipelines vers les côtes serait dans l’intérêt national. Ces pipelines, qui transporteraient du pétrole « décarboné » (nous y reviendrons!), permettraient de diversifier les partenaires économiques et de développer l’économie de l’Ouest et du Nord.
Pour sa part, le premier ministre François Legault a affirmé que, avec la nouvelle donne économique, les pipelines pourraient désormais obtenir l’acceptabilité sociale qui faisait défaut au Québec il y a à peine quelques années. On peut bien le croire : depuis la mise en place des tarifs par l’administration Trump, les médias relaient en boucle les messages du lobby des énergies fossiles – les pipelines seraient nécessaires pour réduire notre dépendance aux États-Unis et même pour renforcer l’unité canadienne. Le plus important, c’est l’économie. Non?
Viabilité des pipelines
Sur la viabilité économique des pipelines au Canada, on laissera les experts s’exprimer plus à fond, mais il suffit de prendre en compte le coût de 34 milliards d’argent public investi pour le doublement du pipeline Trans Mountain pour comprendre que la construction de nouveaux pipelines vers l’Est sera tout simplement pharaonique. Et que même les spécialistes doutent de la rentabilité à long terme de telles dépenses, en tenant compte du ralentissement de la demande mondiale en pétrole. On serait en droit de penser que ces investissements servent à répondre à des impératifs plutôt politiques qu’économiques. Et, encore une fois, on ne tient aucunement compte des coûts économiques des changements climatiques.
Pétrole « décarboné »
Le concept de pétrole « décarboné » avancé par le premier ministre mériterait de figurer dans le dictionnaire sous « écoblanchiment ». C’est un pur oxymore : le pétrole est composé principalement de carbone et d’hydrogène. Sa combustion émettra TOUJOURS du CO2. Ce qui est sous-entendu par M. Carney c’est l’intention de décarboner la production du pétrole, qui représente environ 20% des émissions de son cycle de vie. On fait abstraction des 80% d’émissions émanant de sa transformation ou de sa combustion. On pourrait penser que la décarbonation de la production serait déjà une avancée, mais il y a loin, très loin, de la coupe aux lèvres
Pour rappel, le secteur des énergies fossiles est le plus grand émetteur de GES au Canada, loin devant les transports. Il n’est par ailleurs toujours pas soumis à un plafonnement des émissions et bénéficie de très généreuses subventions. L’extraction du pétrole des sables bitumineux est un processus extrêmement polluant et consommateur d’énergie; beaucoup plus que le pétrole plus conventionnel qu’on trouve au Moyen-Orient, par exemple. Pour en décarboner la production, le gouvernement semble miser en grande partie sur la captation du CO2 – un processus onéreux (payé en partie par les contribuables), peu efficace et, encore une fois, extrêmement énergivore. En fin de compte, la notion de « pétrole décarboné » est une vue de l’esprit. Ce n’est pas autre chose qu’un blanc-seing à l’industrie pétrolière pour produire toujours plus.
Acceptabilité sociale
La construction de pipelines représenterait une gigantesque mobilisation de moyens qui nous enfermerait pour des décennies dans une logique pétrolière – une logique qui compromet notre avenir à toutes et tous. L’humanité émet environ 40 milliards de tonnes de CO2 par an. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a connu une hausse spectaculaire en 2024, atteignant des niveaux qui n’ont pas été atteints depuis 14 millions d’années. Le Canada, 4e producteur mondial de pétrole, contribue fortement à ces émissions, et continuera à le faire tant qu’il misera massivement sur le secteur des énergies fossiles.
Il y a presque dix ans déjà, un regroupement citoyen à Gatineau lançait Stop Oléoduc Outaouais, pour répondre au projet d’oléoduc Énergie Est. Ce regroupement, devenu par la suite Action Climat Outaouais, s’est joint à de nombreux autres groupes au Québec pour faire face, avec succès, aux promoteur·euses et aux politicien·nes qui tentaient de faire passer les projets pétro-gaziers à tout prix. Il est temps de remonter aux barricades pour faire comprendre aux élus qui nous représentent que, non, la construction de nouveaux pipelines n’est toujours pas acceptable. Il en va de notre avenir à toutes et tous.
La mobilisation a déjà commencé:
Des pipelines au Québec? Le mouvement citoyen dit non à un retour en arrière!, Le Devoir, 26 mai 2025
Les projets d’énergies fossiles au Québec constituent « des mirages », Nature Québec, 19 février 2025